DRAGOM vous accompagne depuis le début de cette crise pour vous aider à trouver des solutions grâce à notre programme de tutoriels. Pour cette 3ème interview de nos consultants, nous avons décidé d’interroger un psychiatre sur les relations humaines.

La crise actuelle et les règles sanitaires imposées sont en train de changer certaines valeurs humaines. Les tensions générées, les souffrances vécues, les peurs à venir, les besoins de liberté et d’affranchissement des règles vont naturellement modifier certaines règles sociales. Les relations humaines étant au centre de notre cabinet de conseil, il nous a paru évident d’interviewer un psychiatre sur les impacts de cette crise sur celles-ci.

Stéphane MOUCHABAC

Bonjour Stéphane, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis médecin Psychiatre, praticien hospitalier au CHU Saint-Antoine (Département Médico Universitaire Neurosciences, APHP 6.0). Je m’occupe plus spécifiquement des pathologies résistantes, en particulier, dans les troubles de l’humeur et je travaille avec une équipe pluridisciplinaire sur l’apport des nouvelles technologies en psychiatrie. Par ailleurs, nous avons créé une chaîne sur Youtube « Conseils aux Cerveaux Confinés »  pour aider les personnes à comprendre et à gérer de manière optimale la crise du coronavirus.

Tout d’abord, avez-vous constaté, au sein de votre service, des changements de comportements de la part de vos patients ?

Nous avons observé, initialement, des changements au niveau comportemental chez des patients non hospitalisés. Au début du confinement, nous avons constaté une baisse importante de la fréquentation des urgences. Nous faisions, alors, surtout face à des situations compliquées (pathologies en rupture de suivi ou de traitement), puis quelques semaines plus tard, nous avons vu réapparaître des personnes présentant des difficultés plus spécifiques dues à la situation que nous traversons actuellement, avec des tableaux anxio-dépressifs (crainte de la maladie, de l’avenir économique, effets psychologiques). Bien entendu, un grand nombre de patients ont, globalement, bien traversé cette période et en ont même tiré des enseignements sur leur capacité de résilience.

Vous êtes, également, en contact avec un grand nombre de soignants en 1ère ligne dans la lutte contre le coronavirus (COVID-19). Dans quel état d’esprit sont-ils après 7 semaines de confinement ?

La psychiatrie et la psychologie se situent surtout « entre les lignes » et nous savons, comme cela a été le cas avec les attentats de 2015, que notre mission va s’effectuer dans la durée, car d’autres conséquences psychologiques vont apparaître avec le temps. Nous observons que l’état d’esprit des soignants est généralement bon. Par ailleurs, nous avons su nous adapter à cette situation extrême. Le sentiment de collaborer autour d’un objectif commun est aussi motivant et protecteur. Cela contribue au maintien du « moral » des soignants. Cela étant, il y a de la fatigue et un stress accumulé. Certaines équipes ont été très exposées et ont vécu des moments difficiles qu’elles ont dû concilier avec leur vie privée, ce qui peut s’avérer compliqué.

D’un point de vue général, comment imaginez-vous les relations sociales à la sortie du déconfinement ?

Difficile de prévoir l’avenir, tant les événements sont inédits, fluctuants et complexes. Nous sommes des individus sociaux et nous avons besoin de relations sociales, or celles-ci ont été pour beaucoup très bouleversées. Sur le plan physique, des groupes ont été séparés et les gestes amicaux ou affectifs ont été réduits. Il va falloir réapprendre la spontanéité. Il y a eu, également, une sorte de frénésie d’un déconfinement avec « champagne sur les Champs Élysées », or nous découvrons que cela va être graduel, hétérogène et surtout plus long que prévu. Encore une fois, il va falloir s’adapter à cette situation, ce qui va générer probablement de la frustration et d’autres réactions psychologiques en chaîne.

Pensez-vous qu’il en soit de même au sein d’une entreprise qui aura passé 2 à 3 mois en télétravail ?

L’analogie est envisageable, puisque de nombreuses habitudes de travail impliquant les relations humaines et sociales ont été modifiées. La reprise de l’activité économique sera, elle aussi, graduelle. Il faudra s’aligner également sur la temporalité des autres partenaires, ce qui imposera une gymnastique intellectuelle et émotionnelle importante. Le confinement a permis à de nombreuses personnes de réfléchir sur leur mode de vie et à revoir certaines de leurs croyances et valeurs. Ces différents aspects impacteront aussi la reprise de leur activité.

Nous entendons partout des mots comme : « empathie », « bienveillance », « optimisme » et « positive attitude ». Pourquoi, à votre avis, les personnes ont tant besoin de verbaliser leurs émotions positives ?

Si les entreprises qui les emploient adhérent réellement aux concepts qu’ils sous-tendent, alors c’est une opportunité à saisir pour changer l’état du monde. Durant l’exercice de ma carrière, j’ai vu les conséquences négatives du stress causé par certaines formes de management sur les salariés et je crois vraiment que la prise en compte du fonctionnement de notre cerveau dans le monde socioprofessionnel peut permettre de gagner sur tous les plans. Les termes « positifs ou négatifs » reliés aux émotions sont des concepts. Toutes les émotions ont des fonctions indispensables et les ignorer serait contre-productif. Cependant, l’être humain recherche naturellement plus l’aspect positif que négatif, ce qui explique cette tendance à valoriser ces émotions (par exemple, sur les réseaux sociaux, on montre plus facilement une photo de belle plage que sa poubelle éventrée). Sans pour autant s’exposer à la vue de tous, il est ainsi plus facile de mettre en avant son caractère positif que l’inverse.

Lors du déconfinement, pensez-vous qu’il va falloir prendre en compte l’état émotionnel dans nos relations socioprofessionnelles ?

C’est indispensable. Il faut donc créer des situations pour les observer, les exprimer, ce que j’encourage au niveau managérial. La crise sanitaire et le confinement auront suscité des émotions intenses chez tout le monde. C’est pourquoi, il va falloir se réaccorder, tel un orchestre qui n’a pas joué depuis longtemps ensemble, pour collaborer de manière optimale. En langue grecque, le mot « crise » implique aussi une notion de décision. En revanche, en psychologie, une crise passe par des phases qui peuvent déboucher sur des opportunités. Nous pensons que l’état actuel du monde est l’occasion d’approfondir ces concepts.

Enfin, comme certains le prédisent, peut-on s’attendre, lors de la « reprise économique », à un désengagement de certains salariés dans leur travail, alors que tout semblerait repartir comme avant ?

La situation est complexe, car l’accumulation de l’incertitude due à la situation, de liens multiples et mouvants ne nous permet pas de prédire l’avenir. Toutefois, si je me penche sur les notions de motivations, on peut supposer que certains champs de la motivation dite « intrinsèque » (par exemple, agir en fonction de ce qui nous fait plaisir ou incarne nos valeurs) peuvent avoir changé par l’intégration de nouvelles valeurs et que celles-ci vont agir sur le sens que l’on donne au nouveau monde socioprofessionnel émergeant. Un travail important de réflexion devra être entrepris dans ce domaine.